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Pourquoi ça ne marche pas ? par Eckhart Tolle
PEUT-ON GÉRER SES ÉMOTIONS? Un article de Christophe ANDRÉ - Sciences Humaines Magazine
LES ÉMOTIONS AU QUOTIDIEN
On ne peut pas ne pas ressentir d’émotions et ne pas être influencé par elles. L’humain, comme tous les mammifères, est équipé de série d’un logiciel de réactivité émotionnelle : nous n’avons pas besoin d’apprendre la peur ou la colère, mais l’environnement nous apprendra par contre de quoi avoir ou non peur, sur quoi nous mettre ou pas en colère, etc.
Le déclenchement des émotions est automatique : seule leur régulation est sous le contrôle ? relatif ? de notre volonté.
Les émotions représentent ainsi une forme d’intelligence préverbale et préconsciente. Elles sont des structures préparées de réponses, intervenant de manière automatique dans les processus adaptatifs.
Depuis Charles Darwin, nous savons que nous disposons d’une gamme d’émotions dites « fondamentales » ? colère, tristesse, joie, honte… ? qui sont innées et universelles, et remplissent une fonction adaptative précise (voir tableau 1). Seules l’expression et la modulation de ces émotions ? mais non leur existence ? dépendent de l’environnement.
Cependant, la valeur adaptative des réactions émotionnelles est fortement altérée lors des maladies des émotions, les « troubles émotionnels » du DSM (états dépressifs et anxiophobiques), où les sujets ressentent des activations anormalement intenses et fréquentes de leurs émotions fondamentales : les déprimés souffriront de bouffées de désarroi et de tristesse hors de proportion avec les événements qui les auront facilitées, les phobiques pourront éprouver des attaques de panique (peurs violentissimes et incontrôlables) en l’absence de danger objectif.
Mais les émotions fondamentales, intenses et brèves, ne sont pas ce que nous ressentons le plus fréquemment dans notre quotidien : les grandes frayeurs ou les grosses colères sont finalement (et heureusement) plutôt rares, et nous sommes plus souvent habités par des états plus complexes mais non moins influents, des émotions subtiles, discrètes, comme les humeurs (« mood » en anglais) ou les émotions mixtes (se sentir à la fois triste et heureux, par exemple lors d’une cérémonie à l’occasion d’un changement de vie personnelle ou professionnelle).
Les troubles liés aux émotions discrètes ou dérivées (se sentir souvent mélancolique, inquiet ou irritable) seront eux plus souvent en cause dans des pathologies moins sévères, ou lors de difficultés d’ajustement chez l’individu « normal », c’est-à-dire ne souffrant pas forcément de maladie psychologique avérée. Leur importance est en effet majeure dans la notion de « bien-être subjectif ».
D’où la multiplication récente des recherches sur l’humeur dans le cadre de la « positive psychology » (comment aider les individus à construire ou renforcer leur équilibre émotionnel et psychologique) mais aussi dans celui de la psychiatrie préventive (comment éviter les récurrences chez les personnes ayant présenté un trouble émotionnel).
LES STRATÉGIES SPONTANÉES DE GESTION DES ÉMOTIONS
Des stratégies spontanées, ou du moins de déclenchement automatique, existent chez chacun d’entre nous, par rapport à nos états émotionnels quotidiens, notamment lorsqu’ils sont peu agréables : penser à autre chose, parler à un proche, faire du sport (voir tableau 2)…
De nombreuses croyances populaires existent par rapport au bien-fondé de ces différentes attitudes de gestion spontanée des émotions.
Une des plus répandues (en Occident, mais aussi en Orient, contrairement aux idées reçues) concerne la nécessité d’exprimer ses émotions, telle une cocotte-minute qui doit pouvoir évacuer le trop-plein de vapeur, faute de quoi elle explose.
Cette théorie « naïve » est par exemple à la source des innombrables thérapies plus ou moins sauvages encourageant les patients à exprimer de manière parfois violente (comme dans le cri primal) leurs émotions présentes, ou autrefois refoulées (qui seraient à l’origine de leurs maux actuels). L’efficacité de ces thérapies de la « vidange émotionnelle » est loin d’être démontrée… Elle a longtemps alimenté les thèses dites « cathartiques » : on pourrait faire baisser sa colère en se défoulant de manière verbale (en criant) ou physique (en frappant). Toutes les données de la recherche montrent que les stratégies cathartiques entraînent en général l’effet inverse : une personne encouragée à frapper des objets après une frustration se montrera plus encline à la violence lors d’une autre frustration…
De même, et bien que la parole soit pourtant une forme de vidange émotionnelle évidemment plus subtile, parler de sa tristesse peut à la longue écarter nos proches de nous (c’est ce qui se passe chez les patients déprimés, que l’entourage se met peu à peu à éviter) après avoir au départ permis d’obtenir de l’écoute et de la sollicitude.
C’est que les bénéfices de l’expression émotionnelle, bien réels, n’existent que dans des circonstances précises : être modulés, ponctuels, s’adresser à des interlocuteurs disponibles, partageant les mêmes références culturelles que nous, etc.
Pour autant, la répression des contenus émotionnels n’est pas davantage recommandable, du moins de manière systématique. Elle ne semble adaptée que dans le cas de mouvements émotionnels minimes et dont les situations déclenchantes ne nécessitent pas de comportement particulier : par exemple, ne pas se laisser aller à un tristesse passagère liée à une fatigue ou un manque de sommeil, ou ne pas répondre par la colère à une maladresse involontaire.
Mais lorsque la situation nécessite une adaptation (tristesse liée à une frustration personnelle ou professionnelle) ou lorsque l’émotion est intense, la répression sera en général suivie d’un « effet rebond » des contenus de pensée associés à l’émotion, bien connu des psychothérapeutes.
Cet effet pourrait par exemple être l’une des explications des pensées intrusives récurrentes dans les troubles obsessionnels : plus le patient s’efforce de ne pas penser à ce qui l’inquiète, plus ces pensées s’imposent avec force à son esprit, ramenant avec elles l’émotion d’inquiétude.
De même, les stratégies de distraction (« n’y pense plus et tourne ton esprit vers autre chose ») ne s’avèrent efficaces qu’en cas de manifestation émotionnelle mineure et ponctuelle. Il est donc recommandé par les chercheurs et les thérapeutes d’adopter une attitude de
« gestion des émotions » qui intègre d’autres stratégies que celles vers lesquelles nous nous tournons spontanément.
RÉGULATION ÉMOTIONNELLE : LES PISTES ACTUELLES
En raison de leur importance dans notre bien-être et nos capacités de résilience, les émotions sont depuis plusieurs années l’objet d’un traitement de faveur de la part de la recherche en psychothérapie.
Les travaux de recherche se centrent souvent sur la régulation d’une émotion précise (par exemple les colères chez certains conducteurs dangereux, « high anger drivers »). Mais il est probable que les stratégies régulatrices en matière émotionnelle le sont globalement vis-à-vis de toutes les émotions, en raison non seulement de cercles vertueux (moins d’anxiété conduit à moins de colères, moins de colères à moins de tristesse ou de honte, etc.), mais aussi de mécanismes communs (prise de conscience de l’activation émotionnelle, remise en question de sa pertinence et de son utilité, élaboration de plans d’action pour répondre au problème signalé par l’émotion sans en créer d’autres…).
C’est ce que confirme, sur le plan médicamenteux, l’effet de régulation émotionnelle globale (chez les patients mais aussi les volontaires « sains ») souvent obtenu par les antidépresseurs dits inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) ? le Prozac et ses descendants.
Ces médicaments disposent par exemple d’un effet antianxiété et antipanique, bien différencié de leur effet antidépresseur (il s’exerce même si les patients ne sont pas déprimés). Ils semblent aussi à même de réduire l’intensité des émotions de honte et de conscience douloureuse de soi dans l’anxiété sociale maladive. Leur prescription est évidemment réservée aux troubles émotionnels sévères.
Le plus grand nombre de travaux de recherche concerne les thérapies comportementales et cognitives (TCC). Celles-ci encouragent leurs patients, notamment anxieux et phobiques, à ne plus éviter les situations qui déclenchent l’émotion, mais aussi à ne plus chercher à éviter l’expérience émotionnelle elle-même. Par exemple, on sait que les sujets souffrant de troubles de panique font tout pour ne plus ressentir les petits signes qui en annoncent la survenue (sentir leur cœur battre, leur respiration se faire difficile…) : ils disent avoir « peur de la peur », car ils redoutent l’emballement de ses prémices en attaque de panique. Ils évitent donc les situations associées à ces symptômes et font tout pour ne plus faire de sport, ne plus se trouver dans des endroits où ils se sentent « coincés » ou oppressés, etc.
Mais plus ils évitent de ressentir ces prémanifestations émotionnelles, plus ils restent vulnérables face à elles. Le versant comportemental des TCC va donc aider les patients à se confronter progressivement à leurs émotions de peur (et aux signes physiques associés) pour qu’ils réalisent qu’ils peuvent leur survivre, et ainsi les « désensibiliser », comme on désensibiliserait un allergique.
Ce travail d’usure et d’érosion de la peur et de l’angoisse permet d’obtenir une réponse émotionnelle moins explosive.
EMPRUNTS A LA PHILOSOPHIE BOUDDHISTE
Le versant cognitif des TCC cherche lui à mettre en évidence les aspects inadaptés des croyances concernant les émotions (« gueuler un bon coup, ça me soulagera », « si je me sens ridicule, c’est que je suis ridicule ») et à montrer aux patients que leur vision du monde est parasitée par leurs émotions (le déprimé qui, influencé par son humeur, est convaincu que « le monde est triste et court à sa perte, à quoi bon faire des efforts pour vivre ? »).
Les techniques cognitives se donnent pour but d’aider les patients à plus de recul et de critique envers les contenus émotionnels et les pensées que ces derniers vont susciter. Car le rôle des émotions sur les cognitions est premier, en temporalité et en puissance, comme l’avait remarqué le duc La Rochefoucauld, qui écrivait : « L’esprit sera toujours la dupe du cœur. »
Les TCC permettent aussi un « recadrage cognitif » de nature à réguler et rediriger les processus émotionnels. Par exemple dans l’envie, cette émotion suscitée par le fait de voir autrui posséder quelque chose que l’on n’a pas : celle-ci est souvent inévitable, mais on peut transformer une envie hostile (« pourquoi cet arriviste incompétent a-t-il ce que je n’ai pas ? ») ou dépressive (« je suis minable de ne pas avoir ça ») en envie émulative (« comment s’y est-il pris pour obtenir cela, et comment pourrais-je y arriver moi-même ? »).
Ce qui est relativement plus confortable et nettement plus adaptatif.
Tout un courant récent des psychothérapies humanistes et cognitives, intégrant largement des principes de la philosophie bouddhiste, insiste en matière de troubles émotionnels, sur les techniques d’ACCEPTATION.
Plutôt que de refuser l’expérience émotionnelle (chercher à chasser la tristesse, à nier la frustration ou l’envie, voire à récuser le bonheur pour ne pas souffrir de sa disparition ultérieure), les thérapeutes encouragent alors leurs patients à l’accepter pleinement.
Mais seulement en tant qu’expérience
, sans y adhérer d’un point de vue jugemental. Exemple : si je me sens triste à la suite d’un revers, accepter et accueillir cette tristesse, en prenant soin de ne pas plonger dans les deux écueils qui seraient, d’une part, d’en faire le socle d’un « embrayage cognitif » (me mettre à généraliser sur mon incompétence, mon sombre avenir, etc.), ce qui serait me soumettre durablement à elle (au lieu de la maintenir à sa place de simple signal d’alarme ponctuel à propos de quelque chose qui ne va pas dans ma vie), d’autre part, chercher à écarter l’émotion de ma conscience (en me changeant les idées dans le sport, l’alcool, les échanges sociaux…) : ne pas en tenir compte serait une autre manière d’en faire un mauvais usage (si je suis triste, c’est que quelque chose ne va pas, que je peux peut-être améliorer : la situation ou ma sensibilité à la situation).
Ainsi, l’entraînement aux techniques de méditation de type mindfullness (de pleine conscience), qui constituent en de petits exercices réguliers de maintien de l’attention dans l’instant présent (sans juger, ni anticiper, ni ruminer : juste être là) et d’observation « neutre » de ses états émotionnels, a montré son efficacité dans la prévention des rechutes dépressives chez des patients ayant déjà présenté au moins trois épisodes dépressifs majeurs.
Enfin, les bénéfices des émotions positives dans la régulation globale des émotions commencent à être assez largement documentés. On sait que ressentir fréquemment des émotions positives est un facilitateur de bonne santé physique, de créativité, d’altruisme, d’autocontrôle, et évidemment une composante importante du sentiment de bien-être subjectif. Toute la question est de savoir s’il est possible d’apprendre en quelque sorte aux personnes à se rendre un peu plus heureuses que leurs apprentissages passés ou éventuels déterminants biologiques ne les y prédisposeraient spontanément. Là encore, des travaux préliminaires, conduits notamment auprès de patients anciennement déprimés (dont on suppose qu’ils présentent à la fois une vulnérabilité aux émotions négatives et une relative incompétence aux émotions positives), à qui l’on propose des «well-being therapies », sorte de psychothérapies cognitives centrées sur les états psychologiques agréables, semblent inciter à le penser.
« L’esprit règne, mais ne gouverne pas », écrivait Paul Valéry. De même, notre raison doit partager le pouvoir avec les émotions en matière de conduite de nos existences.
L’intelligence émotionnelle réside exactement en cela : un bon usage des émotions. Ces dernières sont de très efficaces signaux d’alarme (la colère pour les frustrations, la peur pour les dangers, la tristesse pour les pertes et insatisfactions, l’envie pour les écarts entre nous et les autres, etc.), mais une fois ce rôle d’alarme accompli, il ne fait pas si bon les laisser continuer à diriger nos existences.
Elles sont, selon la formule, de « bons serviteurs et mauvais maîtres »…. Seulement voilà, elles sont un matériau vivant, parfois violent, et gérer ses émotions ressemble en général davantage à l’art gratifiant mais risqué de l’équitation qu’à celui plus paisible de la bicyclette…
Un article de Christophe ANDRÉ - Sciences Humaines Magazine
Il est courant de chercher à réprimer ses émotions ? trac, colère, tristesse... ? pour ne pas se laisser déborder par elles. Mais on échoue souvent à vouloir les dompter. Les techniques psychologiques appropriées visent à réguler ses émotions plutôt qu'à les étouffer.
« On ne peut pas mettre le vent en cage », dit le proverbe. De même, on ne peut totalement contrôler ses émotions. Mais meuniers et marins savaient autrefois se servir du vent, comme aujourd'hui les fabricants d'éoliennes. Peut-on alors « se servir » de ses émotions, en utiliser la force sans se faire emporter ou dominer par elles ? Tout un courant de la recherche contemporaine en psychologie, tant fondamentale que clinique, s'attache à réfléchir à ce point...
LES ÉMOTIONS AU QUOTIDIEN
On ne peut pas ne pas ressentir d'émotions et ne pas être influencé par elles. L'humain, comme tous les mammifères, est équipé de série d'un logiciel de réactivité émotionnelle : nous n'avons pas besoin d'apprendre la peur ou la colère, mais l'environnement nous apprendra par contre de quoi avoir ou non peur, sur quoi nous mettre ou pas en colère, etc.
Le déclenchement des émotions est automatique : seule leur régulation est sous le contrôle ? relatif ? de notre volonté.
Les émotions représentent ainsi une forme d'intelligence préverbale et préconsciente. Elles sont des structures préparées de réponses, intervenant de manière automatique dans les processus adaptatifs.
Depuis Charles Darwin, nous savons que nous disposons d'une gamme d'émotions dites « fondamentales » ? colère, tristesse, joie, honte... ? qui sont innées et universelles, et remplissent une fonction adaptative précise (voir tableau 1). Seules l'expression et la modulation de ces émotions ? mais non leur existence ? dépendent de l'environnement.
Cependant, la valeur adaptative des réactions émotionnelles est fortement altérée lors des maladies des émotions, les « troubles émotionnels » du DSM (états dépressifs et anxiophobiques), où les sujets ressentent des activations anormalement intenses et fréquentes de leurs émotions fondamentales : les déprimés souffriront de bouffées de désarroi et de tristesse hors de proportion avec les événements qui les auront facilitées, les phobiques pourront éprouver des attaques de panique (peurs violentissimes et incontrôlables) en l'absence de danger objectif.
Mais les émotions fondamentales, intenses et brèves, ne sont pas ce que nous ressentons le plus fréquemment dans notre quotidien : les grandes frayeurs ou les grosses colères sont finalement (et heureusement) plutôt rares, et nous sommes plus souvent habités par des états plus complexes mais non moins influents, des émotions subtiles, discrètes, comme les humeurs (« mood » en anglais) ou les émotions mixtes (se sentir à la fois triste et heureux, par exemple lors d'une cérémonie à l'occasion d'un changement de vie personnelle ou professionnelle).
Les troubles liés aux émotions discrètes ou dérivées (se sentir souvent mélancolique, inquiet ou irritable) seront eux plus souvent en cause dans des pathologies moins sévères, ou lors de difficultés d'ajustement chez l'individu « normal », c'est-à-dire ne souffrant pas forcément de maladie psychologique avérée. Leur importance est en effet majeure dans la notion de « bien-être subjectif ».
D'où la multiplication récente des recherches sur l'humeur dans le cadre de la « positive psychology » (comment aider les individus à construire ou renforcer leur équilibre émotionnel et psychologique) mais aussi dans celui de la psychiatrie préventive (comment éviter les récurrences chez les personnes ayant présenté un trouble émotionnel).
LES STRATÉGIES SPONTANÉES DE GESTION DES ÉMOTIONS
Des stratégies spontanées, ou du moins de déclenchement automatique, existent chez chacun d'entre nous, par rapport à nos états émotionnels quotidiens, notamment lorsqu'ils sont peu agréables : penser à autre chose, parler à un proche, faire du sport (voir tableau 2)...
De nombreuses croyances populaires existent par rapport au bien-fondé de ces différentes attitudes de gestion spontanée des émotions.
Une des plus répandues (en Occident, mais aussi en Orient, contrairement aux idées reçues) concerne la nécessité d'exprimer ses émotions, telle une cocotte-minute qui doit pouvoir évacuer le trop-plein de vapeur, faute de quoi elle explose.
Cette théorie « naïve » est par exemple à la source des innombrables thérapies plus ou moins sauvages encourageant les patients à exprimer de manière parfois violente (comme dans le cri primal) leurs émotions présentes, ou autrefois refoulées (qui seraient à l'origine de leurs maux actuels). L'efficacité de ces thérapies de la « vidange émotionnelle » est loin d'être démontrée... Elle a longtemps alimenté les thèses dites « cathartiques » : on pourrait faire baisser sa colère en se défoulant de manière verbale (en criant) ou physique (en frappant). Toutes les données de la recherche montrent que les stratégies cathartiques entraînent en général l'effet inverse : une personne encouragée à frapper des objets après une frustration se montrera plus encline à la violence lors d'une autre frustration...
De même, et bien que la parole soit pourtant une forme de vidange émotionnelle évidemment plus subtile, parler de sa tristesse peut à la longue écarter nos proches de nous (c'est ce qui se passe chez les patients déprimés, que l'entourage se met peu à peu à éviter) après avoir au départ permis d'obtenir de l'écoute et de la sollicitude.
C'est que les bénéfices de l'expression émotionnelle, bien réels, n'existent que dans des circonstances précises : être modulés, ponctuels, s'adresser à des interlocuteurs disponibles, partageant les mêmes références culturelles que nous, etc.
Pour autant, la répression des contenus émotionnels n'est pas davantage recommandable, du moins de manière systématique. Elle ne semble adaptée que dans le cas de mouvements émotionnels minimes et dont les situations déclenchantes ne nécessitent pas de comportement particulier : par exemple, ne pas se laisser aller à un tristesse passagère liée à une fatigue ou un manque de sommeil, ou ne pas répondre par la colère à une maladresse involontaire.
Mais lorsque la situation nécessite une adaptation (tristesse liée à une frustration personnelle ou professionnelle) ou lorsque l'émotion est intense, la répression sera en général suivie d'un « effet rebond » des contenus de pensée associés à l'émotion, bien connu des psychothérapeutes.
Cet effet pourrait par exemple être l'une des explications des pensées intrusives récurrentes dans les troubles obsessionnels : plus le patient s'efforce de ne pas penser à ce qui l'inquiète, plus ces pensées s'imposent avec force à son esprit, ramenant avec elles l'émotion d'inquiétude.
De même, les stratégies de distraction (« n'y pense plus et tourne ton esprit vers autre chose ») ne s'avèrent efficaces qu'en cas de manifestation émotionnelle mineure et ponctuelle. Il est donc recommandé par les chercheurs et les thérapeutes d'adopter une attitude de
« gestion des émotions » qui intègre d'autres stratégies que celles vers lesquelles nous nous tournons spontanément.
RÉGULATION ÉMOTIONNELLE : LES PISTES ACTUELLES
En raison de leur importance dans notre bien-être et nos capacités de résilience, les émotions sont depuis plusieurs années l'objet d'un traitement de faveur de la part de la recherche en psychothérapie.
Les travaux de recherche se centrent souvent sur la régulation d'une émotion précise (par exemple les colères chez certains conducteurs dangereux, « high anger drivers »). Mais il est probable que les stratégies régulatrices en matière émotionnelle le sont globalement vis-à-vis de toutes les émotions, en raison non seulement de cercles vertueux (moins d'anxiété conduit à moins de colères, moins de colères à moins de tristesse ou de honte, etc.), mais aussi de mécanismes communs (prise de conscience de l'activation émotionnelle, remise en question de sa pertinence et de son utilité, élaboration de plans d'action pour répondre au problème signalé par l'émotion sans en créer d'autres...).
C'est ce que confirme, sur le plan médicamenteux, l'effet de régulation émotionnelle globale (chez les patients mais aussi les volontaires « sains ») souvent obtenu par les antidépresseurs dits inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) ? le Prozac et ses descendants.
Ces médicaments disposent par exemple d'un effet antianxiété et antipanique, bien différencié de leur effet antidépresseur (il s'exerce même si les patients ne sont pas déprimés). Ils semblent aussi à même de réduire l'intensité des émotions de honte et de conscience douloureuse de soi dans l'anxiété sociale maladive. Leur prescription est évidemment réservée aux troubles émotionnels sévères.
Le plus grand nombre de travaux de recherche concerne les thérapies comportementales et cognitives (TCC). Celles-ci encouragent leurs patients, notamment anxieux et phobiques, à ne plus éviter les situations qui déclenchent l'émotion, mais aussi à ne plus chercher à éviter l'expérience émotionnelle elle-même. Par exemple, on sait que les sujets souffrant de troubles de panique font tout pour ne plus ressentir les petits signes qui en annoncent la survenue (sentir leur cœur battre, leur respiration se faire difficile...) : ils disent avoir « peur de la peur », car ils redoutent l'emballement de ses prémices en attaque de panique. Ils évitent donc les situations associées à ces symptômes et font tout pour ne plus faire de sport, ne plus se trouver dans des endroits où ils se sentent « coincés » ou oppressés, etc.
Mais plus ils évitent de ressentir ces prémanifestations émotionnelles, plus ils restent vulnérables face à elles. Le versant comportemental des TCC va donc aider les patients à se confronter progressivement à leurs émotions de peur (et aux signes physiques associés) pour qu'ils réalisent qu'ils peuvent leur survivre, et ainsi les « désensibiliser », comme on désensibiliserait un allergique.
Ce travail d'usure et d'érosion de la peur et de l'angoisse permet d'obtenir une réponse émotionnelle moins explosive.
EMPRUNTS A LA PHILOSOPHIE BOUDDHISTE
Le versant cognitif des TCC cherche lui à mettre en évidence les aspects inadaptés des croyances concernant les émotions (« gueuler un bon coup, ça me soulagera », « si je me sens ridicule, c'est que je suis ridicule ») et à montrer aux patients que leur vision du monde est parasitée par leurs émotions (le déprimé qui, influencé par son humeur, est convaincu que « le monde est triste et court à sa perte, à quoi bon faire des efforts pour vivre ? »).
Les techniques cognitives se donnent pour but d'aider les patients à plus de recul et de critique envers les contenus émotionnels et les pensées que ces derniers vont susciter. Car le rôle des émotions sur les cognitions est premier, en temporalité et en puissance, comme l'avait remarqué le duc La Rochefoucauld, qui écrivait : « L'esprit sera toujours la dupe du cœur. »
Les TCC permettent aussi un « recadrage cognitif » de nature à réguler et rediriger les processus émotionnels. Par exemple dans l'envie, cette émotion suscitée par le fait de voir autrui posséder quelque chose que l'on n'a pas : celle-ci est souvent inévitable, mais on peut transformer une envie hostile (« pourquoi cet arriviste incompétent a-t-il ce que je n'ai pas ? ») ou dépressive (« je suis minable de ne pas avoir ça ») en envie émulative (« comment s'y est-il pris pour obtenir cela, et comment pourrais-je y arriver moi-même ? »).
Ce qui est relativement plus confortable et nettement plus adaptatif.
Tout un courant récent des psychothérapies humanistes et cognitives, intégrant largement des principes de la philosophie bouddhiste, insiste en matière de troubles émotionnels, sur les techniques d'ACCEPTATION.
Plutôt que de refuser l'expérience émotionnelle (chercher à chasser la tristesse, à nier la frustration ou l'envie, voire à récuser le bonheur pour ne pas souffrir de sa disparition ultérieure), les thérapeutes encouragent alors leurs patients à l'accepter pleinement.
Mais seulement en tant qu'expérience
, sans y adhérer d'un point de vue jugemental. Exemple : si je me sens triste à la suite d'un revers, accepter et accueillir cette tristesse, en prenant soin de ne pas plonger dans les deux écueils qui seraient, d'une part, d'en faire le socle d'un « embrayage cognitif » (me mettre à généraliser sur mon incompétence, mon sombre avenir, etc.), ce qui serait me soumettre durablement à elle (au lieu de la maintenir à sa place de simple signal d'alarme ponctuel à propos de quelque chose qui ne va pas dans ma vie), d'autre part, chercher à écarter l'émotion de ma conscience (en me changeant les idées dans le sport, l'alcool, les échanges sociaux...) : ne pas en tenir compte serait une autre manière d'en faire un mauvais usage (si je suis triste, c'est que quelque chose ne va pas, que je peux peut-être améliorer : la situation ou ma sensibilité à la situation).
Ainsi, l'entraînement aux techniques de méditation de type mindfullness (de pleine conscience), qui constituent en de petits exercices réguliers de maintien de l'attention dans l'instant présent (sans juger, ni anticiper, ni ruminer : juste être là) et d'observation « neutre » de ses états émotionnels, a montré son efficacité dans la prévention des rechutes dépressives chez des patients ayant déjà présenté au moins trois épisodes dépressifs majeurs.
Enfin, les bénéfices des émotions positives dans la régulation globale des émotions commencent à être assez largement documentés. On sait que ressentir fréquemment des émotions positives est un facilitateur de bonne santé physique, de créativité, d'altruisme, d'autocontrôle, et évidemment une composante importante du sentiment de bien-être subjectif. Toute la question est de savoir s'il est possible d'apprendre en quelque sorte aux personnes à se rendre un peu plus heureuses que leurs apprentissages passés ou éventuels déterminants biologiques ne les y prédisposeraient spontanément. Là encore, des travaux préliminaires, conduits notamment auprès de patients anciennement déprimés (dont on suppose qu'ils présentent à la fois une vulnérabilité aux émotions négatives et une relative incompétence aux émotions positives), à qui l'on propose des «well-being therapies », sorte de psychothérapies cognitives centrées sur les états psychologiques agréables, semblent inciter à le penser.
« L'esprit règne, mais ne gouverne pas », écrivait Paul Valéry. De même, notre raison doit partager le pouvoir avec les émotions en matière de conduite de nos existences.
L'intelligence émotionnelle réside exactement en cela : un bon usage des émotions. Ces dernières sont de très efficaces signaux d'alarme (la colère pour les frustrations, la peur pour les dangers, la tristesse pour les pertes et insatisfactions, l'envie pour les écarts entre nous et les autres, etc.), mais une fois ce rôle d'alarme accompli, il ne fait pas si bon les laisser continuer à diriger nos existences.
Elles sont, selon la formule, de « bons serviteurs et mauvais maîtres ».... Seulement voilà, elles sont un matériau vivant, parfois violent, et gérer ses émotions ressemble en général davantage à l'art gratifiant mais risqué de l'équitation qu'à celui plus paisible de la bicyclette..." width="836" height="580"/>
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